Carnet d’enquête Cognac 2020

ROUTINE, l’occupation artistique d’un magasin vide, est une expérience qui se situe à la lisière du social, du sociologique, de l’artistique.

De janvier à mars 2020, s’ouvre ROUTINE#Cognac avec pour postulat de départ le partage de pratiques. Se précise au cours de cet essai, mon désir de faire place au récit « sans souci de classe, de discipline, de clocher » (Jean Malaurie pour Terre humaine).

Entre carnet de bord et carnet d’enquête, ce journal est un témoignage de l’invisible, d’un paysage sensible et mouvant.

30 janvier 2020 – 2 jours d’une pratique de Meg Stuart que je ne saisis pas tout à fait.Embarrassant de la faire à vue avec ses 5minutes d’immobilité, son baragouinage de 15min et sa danse qui n’en est pas une. Qu’est ce que je trouve à cette pratique ? Une obligation de bonne élève que je m’impose ? Un graal à trouver ? Aujourd’hui dans les 15min de baragouinage, ma voix a continué sans moi. Peut-être c’est chercher à se faire double, multiple. Présent-Absent. Sur-présent. Et puis ce qui me gêne finalement c’est que cet exercice n’est pas utile, visiblement utile. Peut-être cet exercice c’est saisir ma chance ; pouvoir traverser fréquemment l’inutile, le non quantifiable. Inutile peut-être mais essentiel.

31 janvier 2020 – Je rentre en relation avec les enfants. Nous nous regardons, droits dans les yeux. Si je fais un pourcentage, pour 100% de regards échangés avec les enfants, 30-40% avec les adultes. CONSTAT: ce différentiel est en grande partie ma responsabilité ; je ne me mets pas en regard de la même façon avec les adultes. Simplement. ROUTINE en magasin : socialité process

1er février 2020 – « Je vais pas m’en mêler moi! » Phrase attrapée au vol ce matin. Avec ROUTINE en magasin, je veux m’en mêler, m’emmêler, que ça délie les langues, passe de la pluie au beau temps, fasse apparaître les souvenirs, l’ancienne rue piétonne et son marchand de tissu, que ça ne comprenne pas et que ça actionne la curiosité. Que la mémoire se fasse là, au présent parce ta maison est là où tu la niches. ROUTINE : mémoire à taille humaine

4 février 2020 – SURIMPRESSION Multiplication des entrées, des enjeux, des places, des rapports, des contraintes, des émotions, des espoirs, des croyances, …

5 février 2020 – Comment faire apparaître un NOUS quand le fait de passer 5 jours sur une pratique fait apparaître un moi tangible ? Réponse du jour en bord de vitrine : « Maman, c’est quoi ça ? C’est du bricolage, ma chérie… » Bricolons.

7 février 2020 – SE RELIER Et comme dirait OSKAR laisser « distiller » la communication

10 mars 2020 – 30 jours nous séparent de notre dernière entrevue. Fête, deuil, messe, rhume, déménagement, dossier 1, dossier 2, termites. 30 jours chargés. Ce matin je ne connaissais pas l’état du désir entre nous, jusqu’à ce que j’ouvre ta grille, puis ta porte et pénètre ton espace. Un sentiment a parcouru mon échine pour m’offrir un sourire : la béatitude. La reconnaissance aussi de pouvoir être au travail, sans la main mise du temps et de l’efficience attendue. De pouvoir rebondir sur ce qui se présente et le tisser à des désirs à venir. Entre réel, imagerie, imaginaire se dessine ROUTINE.

12 mars 2020 – Il fait soleil à présent. Ce matin tombait une pluie lourde, une pluie charentaise. Je ne l’aimais pas beaucoup adolescente, elle s’imprimait dans le corps et me plombait sur place. J’avais envie d’ailleurs. Aujourd’hui je suis de retour et j’aime son bruit qui donne le rythme, qui nourrit sa terre. Est-ce que c’est la pluie qui empêche les gens de sortir ces jours-ci ? Plusieurs lapins à des RDVs fixés, personne qui pousse la porte, CORONA ferait peur ? Plus peur encore que cette ROUTINE étrange ? Désenvoutons l’espace mental et physique, agissons, dansons.

14 mars 2020 (écrit le 24 mars 2020), FIN de la 3• semaine. La moitié du temps de ROUTINE#Cognac s’est écoulée. Je n’ai pas réussi à écrire durant les derniers jours. Énormément de temps passé à échanger au sein du magasin entre distanciation et inquiétude. Sentiment que tout semblerait inapproprié après. Ce que je note c’est qu’avec ROUTINE je suis restée au travail, tout en étant connectée au réel. ROUTINE a décidé de ma place, de celles des passants poussant ou non la porte, la situation particulière précisant encore davantage la nature et la fonction du magasin. ROUTINE se situe à la lisière du social, du sociologique, de l’artistique. Ses enjeux sont multiples et ont pour commun le désir de faire sens, en se reliant. ROUTINE sera, ROUTINE est une étape décisive dans mon parcours. Elle précise mes pratiques chaque jour et ce besoin impérieux d’être au monde.

ECOUTER : « Sylvie » (enregistrement sonore issu des Séances PourQuoi Faire)

ECOUTER : « FIRST« 

ECOUTER : « Ça se sent que c’est toi« 

ECOUTER : « Etreindre les fantômes« 

Pratiques issues du livre « On va où, là ? », de la chorégraphe Meg Stuart – Cie Damaged Goods – Édité par Jeroen Peeters.

ROUTINE#Cognac , 28 janvier au 14 mars 2020.

Remerciements : Bouchra, Vanessa & Antoine, Sandrine, Julie, Marc, Jérémie, Pascale, Xavier, Lysiane, Véronique, Cédric, Franck, Juliette, Noah & Charline, Sylvie, Lassac & Ali, Célestin, Audrey & Théo, Marie, Lionel, Jeff, Jeremy, Alex, Daphné, Jean Jacques, Anne, Anja & Gaël, Aline, Blandine, Emmanuel & Chloé, Jennifer, Pascal, Alicia, Manon & Vanessa, Hervé qui ont osé pousser la porte pour le faire vivre de l’intérieur.

Aux autres de l’autre côté de la vitre pour leurs commentaires, sourires, encouragements.

À l’Avant Scène Théâtre Cognac, au Conseil Régional Nouvelle Aquitaine.